Tout d'abord, la Fédération Protestante de France nous informe que les 17 églises ou unions d'églises qui la composent totalisent 900 000 membres environ. Le 20 octobre 2005, le quotidien Le Monde en annonçait 1.1 millions. Ces chiffres incluent les églises protestantes historiques. L'Eglise Réformée de France par exemple, annonce une moyenne de 300 000 membres. L'ERF explique toucher environ 110 000 foyers, soit environ 450 000 personnes. Comment s'effectue le calcul? Un pasteur réformé nous confie: "Un poste pastoral réformé, normalement, ce sont 250 familles référencées. Nous sommes 400 pasteurs..." On arrive donc à 100 000 foyers, ce qui semble grosso modo correspondre avec le chiffre officiel.

D'après Gérard Dagon, auteur du Panorama de la France évangélique et de la Nouvelle Encyclopédie Chrétienne, les évangéliques constitueraient maintenant 75% de la Fédération protestante. Pourtant il annonce 750 000 protestants en France dont 300 000 évangéliques environ. Il faut comprendre que protestants et réformés comptabilisent les membres "de naissance" ou ayant reçu un "sacrement" dans l'église. Les assistances sont en réalité beaucoup plus faibles numériquement.

Toujours d'après Gérard Dagon, il existerait en France 4500 lieux de culte évangélique. Par lieu de culte, il faut entendre les locaux qui reçoivent au moins un culte par semaine. De même, selon lui, la France compterait environ 3000 pasteurs.

Ces chiffres sont largement contestés par Daniel Liechti, spécialiste ès-statistiques de France-Mission (ex-Opération Mobilisation) et du Conseil National des Evangéliques de France, qui regroupe 73% des églises locales de France, soit les Assemblées de Dieu (ADD), l'Alliance Evangélique (AEF), la Fédération Evangélique (FEF) et les Evangéliques de la Fédération Protestante (FPF). Basant son travail sur une observation bien plus méthodique du paysage évangélique et de son évolution de 1970 à nos jours, Daniel Liechti avance le chiffre de 1850 églises locales en 2004 (elles étaient seulement 769 en 1970). Sa méthodologie est différente: ne sont pris en compte que les locaux qui reçoivent au moins 3 cultes par mois.

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Nous avons sollicité des responsables Assemblées de Dieu (ADD) de France des chiffres précis sur leur nombre d'adhérents, mais nous n'avons reçu aucune réponse. Il faut comprendre que pour cette dénomination, à l'image du roi David, le "dénombrement" n'a pas lieu d'être bibliquement. Dans une lettre ouverte aux responsables de la Fédération Protestante, Alain Denizou, président de la Fédération Nationale des Assemblées de Dieu de France, annonçait tout de même 433 pasteurs. Gérard Dagon complète en estimant le nombre des ADD en France à 732. Daniel Liechti en compte seulement environ 400, en fonction de ses critères plus stricts.

En 2003, le service de presse des ADD de France annonçait déjà 62 000 membres, "avec une croissance de 1 à 3% par an", ajoute le pasteur Bernard Gisquet qui précise: "En ce qui concerne le nombres des sympathisants (...) le constat que l'on peut faire en parlant avec les pasteurs, c'est qu'en général leur carnet d'adresse compte 2 à 3 fois plus de personnes qu'ils n'ont de participants au culte." Ce chiffre ne comprend pas les églises des DOM-TOM, qui totaliseraient de 30 000 à 40 000 membres. On peut donc raisonnablement parler de 100 000 pentecôtistes ADD en France.

Autre mouvement pentecôtiste, mais lui affilié à la Fédération Protestante: la Mission Evangélique Tzigane de France, annonce 65 000 membres répartis dans un petit nombre de lieux de culte (49). En raison de la mobilité de cette population, leur nombre reste toutefois très flou. C'est la raison pour laquelle la Fédération protestante de France avance le chiffre de 100 000 pentecôtistes tziganes.

Les évangéliques "classiques" (ni charismatiques, ni pentecôtistes, voire même carrément hostiles à ces tendances) verraient actuellement leur croissance en France assez diminuée. On ne parle pas encore de déclin. Daniel Liechti ne partage pas cette analyse, même s'il est d'accord pour dire que les évangéliques "charismatiques" ou "pentecôtistes" auraient en France le plus fort taux de croissance parmi l'ensemble des évangéliques. Cette tendance est d'ailleurs confirmée par des statistiques rapportées en décembre 2004 par l'hebdomadaire Courrier International qui recençait dans le monde 210 millions d’évangéliques et 523 millions de pentecôtistes.


"Les chiffres sont difficiles à manier", considère pour sa part Stéphane Lauzet, Secrétaire général de l'Alliance Evangélique Française (AEF). Il nous renvoit aux travaux du sociologue évangélique Sébastien Fath qui, dans son dernier ouvrage Du ghetto au réseau, le protestantisme en France-1800-2005 avance le chiffre de 350 000, auquel il rajoute 45 000 pour les " églises ethniques". A la page 216 de son livre, ce même Sébastien Fath ajoute que "minoritaires en termes statistiques généraux, ils (les évangéliques) représentent plus de 75% des pratiquants protestants français en 2005". Daniel Liechti précise: parmi ces 395 000 évangéliques, 25% sont membres de la FPF, 25% de la FEF et 20% des ADD. Pour les autres, les chiffres sont plus difficiles à évaluer.

Prenons quelques exemples. Selon la FEF, les Assemblées de Frères (surnommées péjorativement "Darbystes") sont au nombre de 105. 100 personnes en moyenne assistent régulièrement aux réunions (de 200 à 400 pour les grandes assemblées, une cinquantaine pour les petites), soit environ 10 000 personnes pour la France (estimation basse). D'après Samuel Chevalier-Milhau, responsable du Centre Chrétien de Gagnières, la France compterait également environ un millier de messianiques (Juifs ayant reconnu le Messie et professant la nouvelle-naissance ainsi qu'une doctrine uniquement biblique) et entre 5 000 et 15 000 Juifs devenus chrétiens, tant catholiques que protestants.

Les grands absents des statistiques officielles évangéliques sont les Adventistes. Considérée par plusieurs comme une secte, l'église Adventiste est tout de même membre de la Fédération Protestante. Bien loin des querelles "légalistes" du passé, une grande partie des 44 643 membres baptisés et inscrits dans les 284 églises Adventistes de France pourraient sans problème être comptés parmi les évangéliques.

S'agissant des églises ethniques, l'évaluation de 45 000 avancée par Sébastien Fath pourrait être en-dessous de la réalité. Sur le répertoire parisien UBF sont recensées une vingtaine d'églises chinoises, comptant chacune environ 400 membres. "Rien qu'à Paris", rapporte également Dominique Leuliet, président d'une association d'églises, "les haïtiens représentent 3 fédérations. Celle du pasteur Toussaint représente 220 pasteurs." Chaque église haïtienne aurait une moyenne de 50 membres. Et que dire des Tamouls et des autres?

D'après les éditeurs congolais de Amen, un magazine diffusé gratuitement dans toute l'Europe, la diaspora africaine serait estimée à 600 000 personnes (fourchette basse), rien qu'en région parisienne ! 40% d'entre eux seraient évangéliques (ce pourcentage important semble confirmé par des statistiques mondiales sur la mission: bloc de l'Est, 6 000 conversions/jour. Amérique du Sud, 9 600 conversions/jour. Chine, 25 000 conversions/jour. Et Afrique, 120 000 conversions/jour). Ces 240 000 chrétiens africains (ou afro-antillais) du seul bassin parisien contrasteraient étrangement avec les 45 000 avancés par Sébastien Fath, pour la France entière, toutes origines ethniques confondues.

Les chiffres avancés par Pierre Lefèbvre, s'ils ne correspondent pas aux données collectées par les spécialistes français de la mission, ont le mérite de soulever plusieurs questions: si les évangéliques sont plus nombreux que les réformés au sein de la Fédération Protestante, comment se fait-il que leurs positions (éthiques notamment) soient minoritaires et peu mises en avant? Assurément, l'équilibre numérique au sein de la Fédération Protestante a basculé, vraisemblablement depuis les années 70. Les tenants d'une certaine théologie libérale, de plus en plus minoritaires, devront en tenir compte et assurer le relai des positions véritablement évangéliques entre autres sur les questions de l'avortement, de l'homosexualité et de l'autorité de l'Ecriture.

Les chiffres "officiels" ne tiennent absolument pas compte d'un phénomène d'importance: les chrétiens "sans église fixe". Année après année, ils sont de plus en plus nombreux à quitter les églises dénominationnelles pour des raisons variées (doctrinales, lassitude des conflits d'intérêt ou de personne, manque de soutien, d'écoute ou de suivi, etc.) pour se rassembler en petits groupes informels. Il n'est pas rare de voir de "grosses communautés" qui comptaient déjà 500 membres voici 15 ans afficher toujours, malgré des centaines de nouveaux baptisés, le même nombre de membres. Daniel Liechti estime que ces croyants n'ont pas déserté les églises, ils ont tout simplement changé de dénomination. C'est un point de vue largement répandu dans les églises et qui n'explique qu'une partie du phénomène.

Les données officielles émanent de mouvances assez peu charismatiques, voire opposées aux dons de l'Esprit. Pourtant, charismatiques et pentecôtistes connaissent, comme nous l'avons dit, le plus fort taux de croissance. Est-il possible que certains groupes indépendants (qui sont légions dans la mouvance charismatique) aient échappé aux statistiques?

Enfin, l'explosion de l'immigration incrontrôlée de ces dernières années change profondément le côté "bon chic bon genre" des évangéliques en France. A preuve, l'édition parisienne 2005 de la Marche Pour Jésus dont le responsable nous annonçait qu'elle avait été "à 80% afro-antillaise". A l'image des statistiques françaises officielles qui "oublient" un grand pourcentage d'étrangers (très forte natalité, clandestins, rapprochement familial, difficulté à établir l'identité de certains, etc.), il est possible qu'un nombre important de croyants d'origine étrangère ne se trouve pas comptabilisé dans les données rapportées.

S'il semble évident que tous ces éléments, mis bout à bout, ajoutent à la difficulté d'évaluer de façon sérieuse le nombre d'évangéliques en France, et sans remettre en question la qualité du travail remarquable de Daniel Liechti et Sébastien Fath, il convient tout de même de considérer sérieusement l'évaluation de Pierre Lefèbvre. Sébastien Fath lui-même, un peu plus loin dans son livre Du ghetto au réseau (page 250) avoue qu'il faudrait revoir à la hausse ses propres chiffres, pour avancer ensuite l'hypothèse de 500 000 évangéliques. Pierre-Patrick "PPK" Kaltenbach, réformé, grand défenseur de la foi évangélique et Conseiller maître honoraire à la Cour des comptes, va plus loin et annonçait le 6 décembre sur France-Culture "plus de 600 000 évangéliques en France".

Nous ferons nôtre en conclusion l'appel du "trublion PPK" qui réclame un débat sur la place des évangéliques et au sein de la Réforme en France. En ce jour de célébration du 100e anniversaire de la Loi de 1905, cet appel sera-t-il entendu?